Les soins aux brûlés en France, comme dans beaucoup de pays européens, ont été longtemps négligés. C’est en effet un domaine médical peu gratifiant et qui n’attire pas les vocations médicales. C’est seulement après la deuxième guerre mondiale que les attitudes ont véritablement changé et que l’on a pris alors conscience de la nécessité d’ouvrir des unités de brûlés avec des équipes spécialisées multidisciplinaires, et il y a donc de cela à peu près seulement 50 ans. Les brûlures sont en fait une pathologie spécifique mettant en jeu des réactions physiopathologiques importantes, qui impliquent un traitement double, local et général avec une évolution conjointe de ces deux aspects.
Le traitement des brûlés suppose une équipe exerçant dans des structures autonomes, pouvant fournir une thérapeutique d’ensemble avec une unité de soins intensifs et de réanimation et une unité de traitement chirurgical performant en procédés de chirurgie plastique et reconstructrice. Tandis que les techniques de soins intensifs rendent possible le maintien des fonctions vitales les plus importantes, fonctions qui s’aggravent dans la période précoce, des progrès décisifs dans l’excision et la couverture chirurgicale cutanée sont apparus. Le premier principe de base de ce traitement est que seule une rapide cicatrisation des brûlures étendues peut sauver la vie des brûlés et que le moindre retard aboutit à une plaie chronique avec le risque de complications locales et générales. Une brûlure n’est pas une simple plaie mais une perte de substance particulière : une excision précoce est exigée, associant à des degrés divers les techniques de couverture (autogreffe dermo-épidermique, greffe de peau totale, expansion cutanée, technique micro-chirurgicale de transfert de lambeau, substituts cutanés comme Integra, etc..). Mais la cicatrisation seule n’est pas suffisante, c’est au chirurgien de choisir la meilleure technique pour restaurer le caractère fonctionnel et prévenir les cicatrices hypertrophiques ou chéloïdes ainsi que les contractures. C’est le deuxième principe du traitement des brûlés: la fonction prime. Et enfin troisième et dernier principe, la réparation doit être aussi esthétique que possible car la cicatrice de bonne apparence cosmétique est la garantie d’une meilleure qualité de vie plus tard, et c’est le but ultime de la chaîne de soins.
En France métropolitaine, à peu près 10000 patients sont hospitalisés chaque année pour des brûlures mais seulement un tiers de ces patients sont admis dans un des centres spécialisé de brûlés. Les centres de brûlés français sont répartis régulièrement sur le territoire et permet de couvrir de façon satisfaisante les besoins de la population. Ils sont en général bien équipés et utilisent des équipes compétentes. Il existe aussi quelques unités spécialisées dans les départements et territoires d’outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Réunion).
En France, les problèmes relatifs aux traitements des brûlés sont essentiellement des problèmes d’organisation. A peu près 6500 brûlés sont admis dans des hôpitaux qui ne sont pas des centres de brûlés et ils sont traités par des équipes qui ne sont pas entraînées à cette pathologie très spéciale. Certains de ces patients n’ont pas de brûlures graves mettant en jeu le pronostic vital mais un traitement inapproprié peut aboutir à des séquelles dont la sévérité est souvent hors de proportion par rapport au traumatisme initial. Comme il n’est pas possible de regrouper tous les patients brûlés dans des unités spécialisées de brûlés, nous devons penser à la création de réseaux où chacun des 20 centres de brûlés existants devrait jouer un rôle central régional. Ces centres de brûlés doivent être en liaison étroite avec un petit nombre de structures locales. Ces réseaux doivent permettre l’éducation et l’entraînement d’équipes travaillant dans ces structures locales, afin d’adapter la meilleure thérapeutique ou de décider du transfert des patients dans d’excellentes conditions, quand la gravité l’exige.
Ces mesures expliquent que le traitement des brûlés doit être envisagé comme une spécialité à part entière: la brûlologie (soins aux brûlés), d’où la nécessité de la formation d’équipes entraînées souvent actuellement encore rudimentaires, et d’un enseignement, et ceci à la fois pour les médecins et pour l’équipe para-médicale. Il faut remercier formellement les professeurs Serge Baux et Daniel Wasserman, anciens secrétaires généraux de la Société d’Etude et Traitement des brûlures, et les présidents qui se sont succédés comme Guilbaud, Marichy, Sanchez, Dhennin, Griffe et l’actuel secrétaire général de la Société Française, Hervé Carsin. C’est grâce à eux que cette discipline a progressé, atteignant son sommet à Paris au Congrès de l’ISBI en 1995. La Société Nationale Française a d’ailleurs un journal scientifique : la Revue Française de Brûlogie. Le terme de Brûlologie est plus qu’un mot, c’est un concept qui a été finalement adopté par tous les professionnels s’occupant de brûlures et qui désigne une discipline à part entière, une discipline composite avec les deux aspects médical et chirurgical, et aucun de ces aspects n’est prépondérant par rapport à l’autre. Pendant mes deux années de présidence, j’ai personnellement fait beaucoup d’efforts pour l’adoption de ce terme de brûlologie : les brûlologues rassemblent tous ceux, médecins et personnel para-médical qui s’occupent de brûlures et qui participent d’ailleurs à nos conférences annuelles: chercheurs, chirurgiens, infirmiers, physiothérapistes, psychologues, ils ont trouvé une identité commune sous la même appellation.
En tant que président de la sous-section de Chirurgie Plastique au Conseil National des Universités, j’ai pu introduire cette nouvelle dénomination en 1999 avec l’agrément du Ministre de l’Education Nationale. Cette spécialité est devenue Plastique, Reconstructive, Esthétique, et Brûlologie avec ses deux options qui sont offertes aux candidats à l’agrégation. En 2000, a été nommé le premier professeur de brûlologie : le Professeur Wasserman, Hôpital Cochin, Paris. Notre pays a ainsi reconnu que la brûlologie était une discipline universitaire, et ceci me semble une étape essentielle dans les progrès pour un meilleur traitement des brûlés.
Tel est l’état actuel des soins aux brûlés en France.
Quelques notions de sémantique ou d’étymologie
Le terme de brûlologie a été adopté par la Société Française d’Etude et Traitement des Brûlures avec une réticence considérable. Mais j’ai été très heureux que mes collègues me suivent finalement dans l’adoption de cette appellation. Leur principale objection était que ce terme n’était pas d’une grande rigueur linguistique puisque les «latinistes » m’accusaient de créer un néologisme, un barbarisme associant une racine latine (brul) avec un suffixe grec (logos). Aussi, d’autres dénominations furent proposées telles que pyrologie, crématologie et caumatologie (pyros: feu, crema: brûlure, cauma: traumatisme). Mais les mots ont une mémoire et le mot français brûlure a une his- toire qui ne peut être ignorée. Il découle en réalité de façon indirecte du latin puisque le terme ustulare traduisait l’action de brûler au Moyen-Age, et les prisonniers qui étaient condamnés à être brûlés l’étaient sur un bûcher (bustum) ce qui donna bustulare avec la contraction de bustum et d’ustulare. Une racine germanique plus récente (brand) conduisait au terme brustulare. Finalement, la suppression de la lettre s dans brustulare et son changement par un accent circonflexe a transformé le verbe français brusler en brûler.
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