Pubblicazioni - Journal - Vol. IV N.3


Journal of Humanitarian Medicine - vol. IV - n. 3 - July/September 2004

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LE DÉSASTRE CANICULAIRE 2003

Dr. Xavier Emmanuelli

Directeur, SAMU Social, Paris, France
Membre du Bureau de l’Association Internationale de Médecine Humanitaire

 

SUMMARY. The heat wave disaster of 2003. High mortality from meteorological conditions is not very frequent in developed, industrialized countries. The heat wave in the summer of 2003 in Western Europe was exceptionally catastrophic, causing a mortality of some 25,000, of which 15,000 in France. The victims were, by far, the elderly. The disaster showed the inadequacy of the medical, hospital, and social facilities to cope with such situations. The author makes a critical analysis of this and discusses the physiological aspects of dehydration among children and the elderly. The Symposium was organized with the view to studying these emergencies and preventing similar disasters.

Les désastres météorologiques, surtout dans les pays développés, ne sont pas fréquents. Toutefois, l’été 2003 fut une catastrophe médico-sociale importante.
La canicule de juillet-août a eu pour conséquence une augmentation considérable de la mortalité des personnes âgées. Cet épisode a mis en question les structures médicales et sociales puisqu’elle se sont révélées insuffisantes pour enrayer cette épidémie.
Mais il a fait apparaître des interrogations de fond sur la problématique que pose le vieillissement dans notre société. En s’interrogeant sur les rapports des personnes âgées avec leur entourage, le voisinage, les soins d’accompagnement, le médecin traitant, on s’aperçoit que le vieillissement peut conduire à l’exclusion, faute d’avoir conceptualisé correctement cette période de la vie.
La canicule a été vécue comme une CRISE sans précédent puisqu’on n’avait pas enregistré dans la mémoire collective de situation analogue.1 Elle a souligné, au cœur des vacances, la carence estivale bien connue des administrations de tutelle et des échelons décisionnaires, le sous-équipement des urgences des hôpitaux, l’inadéquation, le manque chronique de personnel et le sous-dimensionnement qualitatif et quantitatif des établissements gérontologiques et des maisons de retraite - et - en tout état de cause une absence de vision stratégique et opérationnelle dans la gestion de crise.
Après la remise des rapports de l’Institut Médicolégal, de l’Institut National de veille sanitaire, de la commission parlementaire cette réalité est apparue en plein jour: elle a révélé, entre autre que 60% des personnes qui sont décédées étaient à l’époque hébergées dans des institutions hospitalières ou médico-sociales comme les maisons de retraite ou hôpitaux - nombre d’entre elles sont mortes aux urgences.
Nombreuses étaient celles qui étaient médicalisées entre autre par des psychotropes tranquillisants ou neuroleptiques.

Bien des hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer la conjonction de la canicule et des médicaments. Avec ou sans médicament on sait que l’organisme humain résiste moins bien à la grande chaleur qu’au grand froid. Il résiste d’autant moins qu’il est affaibli ou amoindri par l’usure et la malnutrition. Si des psychotropes (antidépresseurs, tranquillisants, calmants, somnifères, etc.) sont pre-scrits même à dose moyenne, ils risquent de diminuer la perception de la sensation de soif - celle-ci est déjà faible chez les vieillards comme chez les enfants. Cette sensation commande le comportement de boire pour apporter l’eau au corps. Elle est très importante pour rétablir la volémie, c’est à dire la masse de sang et de liquide qui circule dans le corps grâce au cœur, qui agit comme une pompe.
Cette volémie doit être maintenue à un certain niveau, sinon la pompe cardiaque risque de se désamorcer. Cette pompe cardiaque chez les vieillards n’a évidemment pas les mêmes forces.
La prévention tombe sous le sens. Il convient d’être vigilant et appliquer de simples règles comme les mères savent les appliquer à un nourrisson fragile fébrile et exposé au grand chaud.
Donner à boire, apporter suffisamment de sel pour retenir l’eau, prendre ou faire prendre des bains frais, séjourner dans une pièce à l’ombre, être vêtu légèrement, assurer une aération, s’appliquer des linges humides, boire, prendre un peu de sucre pour l’énergie cellulaire, absorber un peu de sel, ces simples conseils sont connus de tous et intégrés dans les familles. In n’y a pas eu un seul nourrisson qui soit mort dans cette période, d’hyperthermie ou de déshydratation, ce qui prouve que ces conduites sont appliquées aux enfants pour toutes les mères. Elles n’ont pas su être déclinées pour les vieux.
Ces messages de prévention n’ont pas été diffusés. Personne n’a voulu ni su convaincre les médias habituels, Radio-télé-journaux de diffuser ces conseils. Tant peut-être ils allaient de soi… ou peut-être était ce le symptôme que la vieillesse n’intéresse plus notre société.
Bien entendu, il fallait également diminuer les doses de calmants et psychotropes durant cette période de grande chaleur quitte à multiplier les visites et être plus attentifs.
On peut s’interroger d’ailleurs sur la facilité avec laquelle ces produits sont prescrits largement à toute la population française, y compris aux personnes âgées.
Evidemment, l’industrie pharmaceutique s’y retrouve mais que signifie cette surconsommation de telles molécules? On peut également s’interroger pour savoir si les prescripteurs connaissent bien le métabolisme de ces produits et l’élimination des produits actifs qui en résultent et qui restent plus ou moins longtemps présents dans l’organisme. Quand on sait que les vieilles personnes ont des foies et des reins qui sont chargés d’éliminer ces produits bien moins performants, on est en droit de se poser des questions sur la formation des médecins et sur leur connaissance de la gériatrie.
Une ville en France (Marseille) a fait ce qu’il fallait: le professeur San Marco qui dirige le service de gériatrie du CHU a déclaré qu’à partir de fin juin et jusqu’à fin août, à l’époque donc de la canicule, il avait par moitié réduit la prescription de ces médicaments …et les vieux patients s’en sont bien trouvés.

Les personnes âgées, quand l’alerte était donnée, étaient dirigées sur les urgences des hôpitaux qui ont littéralement explosé sous le choc, et tout d’abord parce que structurellement l’hôpital est en crise. On peut passer en revue toutes les raisons qui l’ont amené à cette crise. Les lois du travail, certes, les 35 heures jamais compensées par des embauches nouvelles, mais également une certaine vision performante du système sanitaire et de protection, si bien que l’on a pu dire que le gestionnaire, l’administratif et l’économiste commandent plus aux destinées de l’hôpital que le médecin…et pas seulement pour ce qui concerne l’hôpital. Le monde sanitaire dans son ensemble est en crise profonde. Les médecins généralistes qui représentent le système d’amont ne sont plus totalement en phase avec l’évolution de la société et ne représentent plus tout à fait la consultation de première intention. C’est ainsi que le public se rend facilement aux urgences, qu’il considère comme la structure adéquate disponibile 24 heures sur 24 et cela lui permet donc de “sauter” en quelque sorte l’étape du médecin traitant orienteur.
En conséquence les urgences des hôpitaux sont soumises à une tension permanente et une inadéquation qualitative et quantitative des soins et les traitements. Il n’est pas rare que les patients attendent 5 à 6 heures leur consultation et restent en panne dans les couloirs - car en aval les services eux-mêmes sont saturés.
Les personnes âgées victimes de la canicule ont été dirigées vers les urgences, celles-ci ont été submergées dans un environnement de crise et ont enregistré de très nombreux morts.
Il a été évoqué la possibilité de syndrome d’hyperthermie due aux psychotropes agissant sur un organisme usé dans un contexte de grande chaleur… mais scientifiquement cela reste à prouver…
A l’analyse de la crise et il est nécessaire de remet-tre en question le rôle et la place du médecin généraliste, médecin de première ligne inséré dans la société depuis des temps immémoriaux.

Classiquement, le médecin avait plusieurs rôles:

  1. Thérapeute, c’est celui qui fait le diagnostic, propose des thérapeutiques dans l’action de soigner pour guérir.
  2. Médiateur familial, médecin de famille, comme son nom l’indique, il intervient au sein des familles régulièrement et connaît les relations et les tensions qui peuvent exister entre les membres d’une même famille et son autorité permet de résoudre les conflits et les apaiser.
  3. Médiateur social, le médecin est une notabilité dans son quartier: il connaît les influences et dispositifs de proximité, il a une crédibilité à la clinique, près des commerçants, chez le pharmacien, l’assistante sociale, l’école, le commissariat. Il assure implicitement ce rôle de médiateur pour protéger son malade.
  4. Son effet guérisseur, ou effet placebo, son autorité et son aura fait qu’en cas de maladie il établit un pacte de confiance entre le malade et lui qui a beaucoup d’influence sur le décours de la guérison.
  5. Accompagnant fraternel, quand son malade est en difficulté. Il assure son accompagnement, non seulement pour le décours de la maladie aiguë ou chronique mais également lorsqu’il est en agonie ou qu’il rencontre un deuil ou une rupture qui le rend vulnérable.

Les cinq fonctions font que la médecin assure un rôle de vigilance et le lien médico-social. Il devrait être la première ligne pour, après avoir diagnostiqué une situation qui dépasse ses compétences ou sa technicité, diriger vers l’hôpital ou la clinique - mais seulement en deuxième intention.
Il se trouve que ces différentes fonctions ne sont plus aussi marquées et le médecin généraliste qui aurait pu avoir un rôle essentiel dans la prévention et le dépistage des effets de la canicule auprès des personnes âgées n’a pu exercer sa vigilance completement puisque sa fonction n’est plus aussi claire qu’auparavant.

La canicule a enfin révélé le défaut de représentation du vieillissement de la société. Pour la première fois dans notre civilisation, un très grand nombre de personnes survivent au delà des âges auxquels elles disparaissaient classiquement. Elles ne sont plus productives et sont considérées comme étant à la charge des populations actives.
Mais les mœurs et la sociologie font que les familles ne peuvent plus entourer dans la plupart des cas ces personnes vieillissantes ou si elles le font c’est à travers des difficultés sans nombre.
La filière médicale est la seule actuellement qui puisse intervenir dans l’accompagnement, et si dans bien des cas elle est nécessaire, elle n’est pas suffisante pour faire face au phénomène. Des solutions empiriques se sont installées par l’intermédiaire d’établissements de retraite et la mise en place de dispositifs gériatriques, mais qualitativement et quantitativement ces solutions sont insuffisantes et l’attention aux personnes vieillissantes n’est pas forcément bien assurée, pas du fait des familles et l’entourage mais bien par una carence de représentations sociétales.

La catastrophe de la canicule montre combien il est nécessaire de construire des représentations nouvelles de la vieillesse et ne plus considérer cette période de la vie comme une défaite et une mise en échec des actions et institutions médico-sociales. Classiquement la vieillesse est considérée comme une série de pertes successives et insidieuses qui conduisent plus ou moins rapidement à la dépendance d’abord légère puis de plus en plus importante, jusqu’à la dépendance totale, accompagnant une médicalisation de plus en plus lourde. Cette fatalité apporte des représentations tellement négatives qu’on à tendance à rejeter cette phase de l’existence pour éloigner l’image de déchéance de notre imaginaire.
Afin de construire des systèmes utiles et efficaces pour accompagner le vieillissement, il est nécessaire d’envisager des approches qui soient constructives et qui correspondent à la réalité d’une catégorie de population de plus en plus nombreuse, celle qui a besoin d’être prise en compte pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une classe d’âge cohabitant avec d’autres certainement moins concernées par la production et la consommation, et qui ne doit pas être exclue ou rejetée, sous peine de se retrouver complètement abandonnée et à la merci d’une crise telle que la canicule.
Nous pensons que ce fait de société ne doit plus être traité sous forme de crise aiguë, mais par un travail de fond alliant une réflexion, et la mise en place des dispositifs nouveaux qui laissent toute leur place dans la société aux personnes vieillissantes.
Pour créer une véritable dynamique accompagnant une réflexion de société sur le thème du vieillissement nous proposons un nouveau concept qui se traduit par un projet d’ores et déjà opérationnel que nous avons appelé “La Maison Ouverte”. Il est situé sur le site de l’ancien hôpital Broussais dans le 14ème arrondissement de Paris.
Il s’agit d’un espace ouvert en journée à l’échelon du quartier où les personnes concernées peuvent venir librement, sans condition d’accès, s’installer autour d’un thé, d’un café, ou du journal ou pour simplement rencontrer d’autres personnes. On proposera des activités culturelles, créatives et d’expression corporelles, chant, taï chi… si les personnes le désirent moyennant une participation. Les générations peuvent s’y croiser, les grands-mères avec les petits enfants, ou simplement en rencontrant les enfants des écoles du quartier aux moyens d’expositions des travaux d’élèves. Une navette est prévue pour amener et ramener les personnes qui auraient des difficultés de mobilité, sur réservation.
L’accueil est sans condition quel que soit l’état physique ou psychique de l’invité, les personnes chargées de d’accueil facilitent un échange sans promiscuité et sans obligation.
Ce n’est pas un lieu d’accueil de jour, il n’est pas médicalisé, mais il est en quelque sorte une tête de réseau avec la structure gériatrique et gérontologique voisine qu’est l’association Notre Dame de Bon Secours. Il est en lien avec les médecins généralistes, les commerçants du quartier, les associations et organismes culturels et sociaux du quartier et au-delà du quartier. C’est un prototype qui devrait pouvoir être dupliqué dans d’autres quartiers et d’autres villes.
La philosophie qui le sous-tend repose sur le fait qu’on peut renverser l’image négative de la vieillesse et considérer que malgré la perte des performances physiques ou psychiques celle-ci représente une époque importante de la vie à l’instar de l’enfance et de l’adolescence dans le décours biologique de l’être humain et que l’on doit par des actions volontaristes la valoriser et offrir des conditions favorisant l’épanouissement de la personnalité. Cette initiative désenclavera cette période de la vie et agira comme une sorte de prévention contre l’abandon manifesté dans le phénomène du vieillissement.
N.d.l.r.: Voir aussi la nouvelle initiative de l’Organisation Mondiale de la Santé en faveur des populations vieillissantes.